Aux origines était le mythe, un dieu vénéré par une tribu d’indigènes sur une île dont le pourtour dessine un crâne. Un lieu et un personnage légendaire qu’un cinéaste voulut filmer, entraînant avec lui tout une équipe et une jeune actrice aux cheveux d’un blond rayonnant… Voici le point de départ de King Kong, une histoire imaginée par Merian C. Cooper et le romancier Edgar Wallace (même si la collaboration de ce dernier, mort juste après avoir participé à l’écriture, fut plus tard contestée par le réalisateur). En 1932, Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack – qui jusqu’alors n’avaient réalisé que des documentaires et des plans d’extérieurs pour le film de guerre romanesque Les quatre plumes blanches – se lancent dans le tournage de ce film fantastique, variation de la Belle et la Bête : King Kong. Parallèlement, Schoedsack réalise La Chasse du comte Zaroff, dont le décor de jungle sert pour les deux films. Pour des raisons budgétaires, les deux cinéastes empruntent l’immense porte de la cité babylonienne d’Intolérance de D. W. Griffith, dont la fonction sera de protéger la tribu du roi Kong. Mais surtout, les deux réalisations ont en commun leur actrice principale, la blonde Fay Wray, « The Queen of Scream » (« La reine du hurlement »)… qui, en fait, était plutôt rousse !
En revanche, pour le singe, ils n’ont pas recyclé un vieux costume en fourrure. Au contraire, pour donner vie à cette créature de 15 mètres selon l’affiche, mais qui mesurait en réalité 5,50 m, dans la première partie du film, et 7,30 m dans la seconde (pour sembler plus imposant par rapport aux gratte-ciel new-yorkais), Cooper et Schoedsack ont fait appel à un spécialiste de l’animation image par image : Willis O’Brien. L’homme avait crée les dinosaures du Monde perdu (de Harry Hoyt, 1925), film tiré du roman de sir Arthur Conan Doyle, surtout connu comme créateur de Sherlock Holmes. Son singe géant est tellement impressionnant – pour l’époque - que lors de la première projection-test, en janvier 1933, à San Bernardino (Californie), des spectateurs quittent la salle, trop effrayés par la séquence de combat entre le singe et une araignée géante. Cette réaction incita Cooper à supprimer la scène. En revanche, c’est la censure qui s’est chargée de couper celle où King Kong effeuille de ses gros doigts Fay Wray. Une scène réintégrée en 1971, dans une version restaurée, tout comme celle où le singe mâchonne une victime à New York. A leur sortie, la censure les avait trouvées trop érotique et trop violente.
Si, au fil des ans et des reprises, King Kong a retrouvé tout son minutage (à l’exception de la séquence de l’araignée, dont certaines images ont été réutilisées par Willis O’Brien dans The Black Scorpion), il a aussi donné naissance une longue descendance. Ayant échappé à la faillite grâce au gorille, le studio RKO décide, dès 1933, de lui faire un fils dans le dos. Un rejeton tout mignon au pelage blanc, qui secoue les cocotiers pour nourrir la belle Helen Mack, laquelle a remplacé Fay Wray, dans ce Fils de Kong, réalisé en solo par Schoedsack. Une honte pour son père. Parmi les autres bâtards du roi Kong, citons Monsieur Joe… toujours de Schoedsack (1947) – dont on nous a infligé un remake en 1998, Mon ami Joe, avec Charlize Theron ! -, King Kong contre Godzilla d’Ishiro Honda (1962), King Kong revient de Paul Leder (1976) ou Le Colosse de Hong Kong de Ho Meng Hua (1983). Comparé à ceux-là, le King Kong de John Guillermin (1976) fait figure d’enfant surdoué. Ne serait-ce que pour nous avoir révélé (et dénudé) Jessica Lange. Et parce que aujourd’hui, sa mort du haut des tours du World Trade Center a quelque chose de glaçant. En tout cas, toutes ces suites, remakes, imitations et variations prouvent bien que King Kong est un mythe colossal, auquel le monde du cinéma voue un culte sans pareil et à qui il est prêt à sacrifier plus d’une starlette. Même si elle s’appelle Noami Watts…